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Dans mon chapeau...

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7 janvier 2010

Un roman-monde

"Argentine" de Serge Delaive31Hc8DaQfTL__SL500_AA240_
5 étoiles

Editions de la différence, 2008, 173 pages, isbn 9782729118013

Hernán à Buenos Aires, agitée par les remous de la crise économique qui a frappé de plein fouet l'Argentine en 2001, Lucas à Liège en 2017, le photographe néerlandais Henk Somers à Veerle en 2005... Chacun des chapitres d'"Argentine" nous balade d'un lieu, d'un personnage et d'une époque à l'autre. Chacun de ces chapitres pourrait passer pour une nouvelle totalement indépendante des autres, si certains personnages ne réapparaissaient pas, fil rouge de l'un à l'autre, et si le troisième de ces textes, intitulé "Fractales", ne venait nous proposer - sans qu'il y ait là d'autre pesanteur que celle d'un monde parfois bien dur, que ce monde où nous vivons et dans lequel nous replongent à chaque fin de décembre les habituelles rétrospectives des images de l'année - une autre clé de lecture: "Parvenu à cet endroit, emparons-nous du A, la voyelle noire de Rimbaud, A, la voyelle cerclée, et plaçons-la dans des mots qui composent les titres de textes eux-mêmes rassemblés en un livre. Chaque texte vit sa vie particulière, autonome, avec ses caractéristiques propres. Cependant, la récurrence de la voyelle noire, seule lettre commune aux différents titres - ainsi d'ailleurs que d'autres indices grossiers -, nous invite à tramer un récit plus vaste, à rassembler les fils qui unissent le texte untel à ceux qui le précèdent ou qui lui succèdent. Constatons enfin que ces récits de désagrégation noués en A tendent de près ou de loin vers l'Argentine - pays en A avec argent, comme un mauvais rêve, dedans - là où, récemment, le temps s'est regardé dans un miroir. Bien sûr, il s'agit ici d'un artifice, d'une vue de l'esprit. D'une construction mentale pas plus solide qu'un château de sable. Mais il se pourrait bien que, comme des objets fractals, les histoires s'emboîtent et se reproduisent à l'infini selon des schémas que nous ne maîtrisons pas." (pp. 45-46)

Roman expérimental, dont la forme très originale et soigneusement élaborée a de surcroît le grand mérite de parler d'elle-même et - pierre de touche à laquelle on reconnaît un bon roman -  de se tenir debout toute seule, "Argentine" est plus encore: un de ces romans dont rêve tout véritable amoureux des livres, un roman-monde qui vous emballe irrésistiblement, vous embarque dans son univers propre, vous étonne et vous émeut pour vous laisser, une fois tournée la dernière page, le regard tout chaviré. A croire que suivant le conseil d'un de ses personnages, le photographe Henk Somers qui, après avoir écumé toutes les scènes de conflit de la fin du XXème siècle, s'est tourné vers les nuages - "Ecoute un homme à la fois. Ecoute-le-bien. Parce que tu ne pourras jamais entendre tous les hommes. Le bruit du chaos." (p. 53) -, Serge Delaive a réussi l'improbable, sous la minceur trompeuse des 173 pages de son "Argentine": nous faire entendre très nettement quelques unes de ces voix humaines, si humaines, en même temps que le chaos du monde.

Un prix Rossel (2009) amplement mérité!

Extrait:

"Organisée en vue de l'intérêt général, la société se voit le plus souvent décrite comme un mode de vie propre à l'homme et à certains autres animaux. Elle serait divisée en classes hiérarchiques plus ou moins évidentes, plus ou moins compatibles, sources de tensions à l'origine de mouvements ascendants et descendants. Il s'agirait donc d'une simple addition, ou plutôt d'un plus petit dénominateur commun, une nodosité. Voire encore d'un modèle imposé par les plus forts aux plus faibles. Mais, représentée sous forme d'objet fractal, elle changerait radicalement de nature. Elle deviendrait le reflet protéiforme, fluctuant, de chacune des individualités qu'elle englobe. Une abstraction référentielle où se rejoignent les milliards de rêves et de cauchemars qui la peuplent, tous distincts mais interconnectés. Un train de nuages dans un ciel inimaginable. Cristallisant les différences quand nous nous éloignons, agrégeant les aspirations quand nous nous rejoignons." (pp. 44-45)

D'autres livres de Serge Delaive, dans mon chapeau: "Le livrecanoë" et "Poèmes sauvages"

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6 janvier 2010

Un amateur éclairé - Carnet de Stockholm (11)

IMG_1360rPrins Eugens Waldermarsüdde,
Djurgården, Stockholm

Nichée dans la verdure de l'île de Djurgården, au coeur d'un jardin dont les terrasses s'étagent jusqu'à la mer, la résidence du prince Eugène, fils cadet du roi Oscar II, tient davantage d'une belle villa bourgeoise, à l'aménagement certes très confortable, que d'une demeure princière. Léguée à l'état suédois, cette belle demeure est aujourd'hui devenue un musée et l'on peut toujours y admirer, exposées parmi le mobilier d'origine, les collections artistiques de son ancien propriétaire qui fut à la fois un amateur éclairé et un excellent peintre paysagiste.

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La villa du prince Eugène à Waldemarsüdde, Stockholm (Cliché Fée Carabine)

Annexe moderne à la villa, une galerie accueille en outre des expositions temporaires privilégiant l'oeuvre d'artistes suédois. Lors de ma visite, en septembre, c'est le peintre Carl Wilhelm Wilhelmson qui y était plus particulièrement mis à l'honneur. Elève de Carl Larsson, celui-ci s'est consacré, tout comme son maître, à peindre les simples joies de la vie villageoise et familiale, en des scènes souvent très colorées.

 

 

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Carl Wilhelm Wilhelmson, Dans les rochers à Fiskebäckskil (source)

Le site du Prins Eugens Waldemarsüdde [en Anglais] 

4 janvier 2010

Une inquiétante absence

"Manazuru" d'Hiromi Kawakami51ZKnS92uAL__SL500_AA240_
4 étoiles

Philippe Picquier, 2009, 230 pages, isbn 9782809701067

(traduit du Japonais par Elisabeth Suetsugu)

Peintre, dans "Les années douces" et "La Brocante Nakano", de la délicatesse et de la subtilité de sentiments qui affleurent à peine à la conscience de ses héros, Hiromi Kawakami révèle avec ce nouveau roman une facette plus sombre de son talent.

Rei, le mari de Kei, l'héroïne de "Manazuru", a disparu douze ans auparavant sans laisser la moindre trace. Depuis lors, la jeune femme a poursuivi son existence: elle s'est installée avec sa mère, elle a regardé grandir sa petite fille, devenue à présent adolescente, et elle a noué une liaison avec Seiji, lui-même marié et père de trois enfants mais qui offre un exutoire à ses aspirations sensuelles et passionnelles. Mais si pleine qu'elle puisse paraître la vie de Kei demeure boîteuse, hantée par une absence qui, faute de s'avouer définitive, n'en est pas vraiment une. Et elle se trouve hantée, aussi, par ces silhouettes inquiétantes, mystérieuses et quelque peu menaçantes, que la jeune femme aperçoit, ça et là, du coin de l'oeil, des silhouettes, celle en particulier d'une femme inconnue, qui ne cessent de la ramener à Manazuru, petite station balnéaire dont le nom est l'une des dernières annotations que son mari disparu avait portées dans son journal...

Flirtant délicatement avec l'étrange et le fantastique, Hiromi Kawakami distille lentement dans "Manazuru" un trouble subtil, reflet des états d'âme de son héroïne qui, déjà privée de son mari depuis plus de douze ans, se voit peu à peu dépossédée de ses souvenirs, occultés parce que trop douloureux, ou plus simplement mais tout aussi inéluctablement effilochés par le passage des années. Elle nous offre ainsi un beau roman de l'incertitude, de l'entre-deux. Un roman voilé des brumes du bord de mer, et d'une infinie délicatesse.

Extrait:

"Qu'en est-il alors de mon mari? Ce mari qui a disparu, dont je ne connais plus l'apparence, cette coupure soudaine et brutale. Mon mari n'est pas «quelqu'un qui n'est plus», il est celui «qui n'est pas encore là».
Celui qui n'est pas encore là. Qui apparaîtra peut-être un jour.
Seul ce qui existe maintenant peut disparaître dans le passé.
Ce qui n'est pas là ne saurait être gommé et rejeté dans le passé. Indélébile pour toujours. Absent, et pourtant qui ne disparaît jamais, présent à jamais.
Encore une fois, la femme a dit: Le bateau...
Bon, ça va, j'ai compris! Oui, j'irai à Manazuru, ai-je répondu. Au même instant, la pluie s'est mise à tomber."
(pp. 95-96)

1 janvier 2010

Biiip trrrrrt!

18948378_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20080610_114123"Wall-e" des studios Pixar,
sous la direction d'Andrew Stanton

Ce fut une double surprise que le scénario de ce cru Pixar 2008, "loupé' en salle et "rattrapé" en DVD: une double surprise par sa noirceur autant que par sa minceur! Car passé le premier étonnement de voir proposer à nos chères têtes blondes la vision très sombre d'une terre envahie par les déchets au point que ses habitants ont dû trouver refuge dans l'espace, il faut bien reconnaître qu'il ne se passe plus grand chose et que le béguin du gentil robot Wall-e pour la jolie sonde Eve, fut-il contrarié par un méchant ordinateur de bord, n'offre qu'un argument bien maigre pour un film de 1 heure 37 minutes!

Le charme de ce film - et il en a - tient, outre la qualité de l'animation, à son extraordinaire bande-son et aux biiip et trrrrrrt si expressifs de Wall-e. Le travail des ingénieurs du son fait d'ailleurs l'objet d'un bonus rien que pour eux sur le DVD: coup de projecteur amplement mérité et tout à fait passionnant.

31 décembre 2009

Sexe, drogue et rock'n roll

"Moi tout craché" de Jay McInerney41MOIozEfZL__SL500_AA240_
4 1/2 étoiles

Editions de l'Olivier, 2009, 301 pages, isbn 9782879296715

(traduit de l'Anglais par Agnès Desarthe)

Enfin, pour le rock'n roll, je ne sais pas: les années 1980 ont connu d'autres modes musicales. Mais le sexe et la drogue, c'est sûr, la génération perdue de ces années-là, dont Jay McInerney nous conte les destinées au long de ce qui nous est présenté comme un recueil presque complet de ses nouvelles, ne pourrait pas s'en passer. Car que pourrait-elle opposer d'autre à son ennui, son insatisfaction lancinante et son mal de vivre?

On comprend dès lors que d'aucuns aient pu rapprocher Jay McInerney de Francis Scott Fitzgerald, et de son évocation d'une autre jeunesse en mal de repères, celle des années 1920 et de "Tendre est la nuit". Et à vrai dire les grands enfants trop gâtés, perdus entre les clubs de Manhattan, les bleds les plus paumés du fin fond du Nebraska et les montagnes du nord de l'Afghanistan, héros de ces seize nouvelles de l'écrivain new yorkais, ne sont a priori guère plus susceptibles que leurs devanciers d'éveiller mon intérêt et ma sympathie. Comme chez Francis Scott Fitzgerald, tout, ici, tient dans la manière: un style franc, rapide et tout à la vivacité de l'expression et du sentiment, qui fait de la lecture des nouvelles de "Moi tout craché", en dépit de leur noirceur et de leur désespoir, un grand régal revigorant.

Pour tout dire, je n'ai que rarement eu l'occasion de me plonger dans un recueil de nouvelles qui maintienne tout du long un tel niveau de qualité. Même chez les auteurs les plus doués, il vient presque toujours un moment où l'on repère un début de répétition, un personnage qui réapparaît une fois de trop, se muant ainsi en stéréotype, une ficelle ou une astuce qui devient par trop apparente. Mais je n'ai rien vu de tout cela dans ce recueil qui couvre pourtant près de trente années d'écriture, de 1982 à 2008, et où des textes qui, à première vue, pouvaient sembler ressasser des thèmes très proches - ces histoires de couples usés et aigris par de trop nombreux coups de canifs de l'un ou de l'autre dans le contrat de la fidélité conjugale - s'ouvrent en définitive sur des mondes de sentiments et d'émotions complètement différents. Un tel poids d'humanité et de vécu, sans un poil de graisse excédentaire. Vraiment, c'est un régal!

Extrait:

"Nous vivons dans un coin où la première chose qu'on vous demande quand vous rencontrez quelqu'un c'est à quelle église vous allez, une ville qui compte plus d'églises que de saloons. La plupart des bibles du pays sont publiées ici, pareil pour les chansons folk. Nous avons aussi plus de boîtes de strip-tease, de salons de massage et de librairies pour adulte que vous ne pouvez l'imaginer, tout ça bien rangé au centre-ville, juste à la sortie du carrefour où l'autoroute croise la rocade*. Les gens du cru vous diront que c'est rien que des étrangers là-dedans, mais je ne suis pas convaincu. On pourrait peut-être établir une corrélation entre l'ampleur de cette industrie du sexe et le nombre d'églises, mais je ne me risquerais pas à le faire en public, dans la mesure où il y a aussi pas mal d'armes à feu par chez nous. J'ai, moi-même, un .38, entre le matelas et le sommier, et un fusil à pompe Remington calibre 12, dans le cabinet d'armurie, ce qui correspond à peu près à la moyenne. Pour l'instant, je ne me suis jamais servi du .38, mais je me sens plus en sécurité de la savoir là, même si les statistiques affirment le contraire. J'utilise le calibre 12 pour la chasse aux canards; tous les hivers, je pars avec mes vieux potes de la fac à Reelfoot Lake." (pp. 110-111)

* Plutôt bizarre, soit dit en passant, que l'apparition du terme typiquement hexagonal de "rocade" dans le contexte d'une petite ville américaine. C'est sinon un vrai contre-sens, du moins un choix de coloris malheureux et qui ne sonne pas juste du tout à mes oreilles sourcilleuses...

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25 décembre 2009

Un très heureux Noël à tous!

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Rogier Van der Weyden, L'Adoration des Mages (source: wikimedia commons)

25 décembre 2009

"Christmas"

La neige est sur Noël et Noël sur la neige
Avec un soleil d'or qui dessine des arbres
Des maisons des autos des enfants qui se cabrent
En glissant sur les fesses une pente en arpège

Aménagée au coin Montarville et Saint-Charles
Jerry a étrenné son beau paletot beige
Et sort avec Rita dans la lumière grège
Que Noël fait couler aux hanches des érables

Le jour est lumineux comme un regard d'enfant
On oublie qu'on est vieux que le monde est dément
Moins dément que la vie Plus vivant que la mort

La lumière parfois cisèle un diamant
Et vous le jette à l'oeil tel un simple trésor
C'est gratuit à Noël Comme l'amour et l'or

Jean O'Neil, "Montréal by foot", Editions Libre Expression, 2005, p. 80

Un autre poème de Jean O'Neil, dans mon chapeau: "Now is the time"

24 décembre 2009

Pour les petits et les grands enfants...

"Catalogue de parents pour les enfants qui veulent en changer" de Claude Ponti9782211093750
5 étoiles

L'école des loisirs, 2008, 45 pages, isbn 9782211093750

Avec les fêtes de fin d'année, voici venu le temps des réunions familiales, leurs joies mais aussi leur cortège de petites tensions et agacements. Et, quel que soit votre âge, le moment viendra peut-être où vous éprouverez une grosse envie de changer de parents. Si tel est le cas, ce magnifique album est fait pour vous!

Pensez donc! Trente-cinq modèles de parents bourrés d'options et de gadgets en tout genre, tels les parents aventuriers, munis de "nombreuses poches, de toutes tailles avec fermeture de sécurité, éclairage intérieur et doublure étanche. Valise suiveuse. Siège d'épaule. Microscope de campagne. Eolienne serre-tête. Couteaux suisses, belges et vosgiens. Pirogue pliante. Pagaies à voile. Dépanneuse multifonction. Tente Catalogue©: salon/salle à manger, trois chambres, salle d'étude de jeux, piscine et jardin. Lecteur multimédia. Internet. Lits instantanés. Manuel de conversation avec les oiseaux. Dictionnaire de traces de pas. Dictionnaire français/étranger. Biscuits vitaminés, nourriture bio, médicaments non transgéniques, tisanes de plantes végétales, moules et casseroles. Gros mots de voyage. Localisation permanente par OUKISSON." (p. 9).

Trente-cinq modèles de parents désopilants, attendrissants, minuscules ou géants, jetables et biodégradables, discrets, tristes et même, ce qui est bien triste, des parents pour enfants orphelins. Sans oublier quelques modèles en solde que la maison, franchement, ne vous recommande pas, et des combinaisons - seul(e) ou composées - bien d'aujourd'hui. La livraison est gratuite et garantie "dans les quarante tuiteures".

Tout à la fois drôle et grave, cet album n'est que du bonheur pour tous les enfants de 6 à 106 ans... Ah, et j'oubliais: vos parents d'origine vous seront rendus sur simple demande, tout frais, reposés, lavés et repassés (enfin, non, pas repassés... parce qu'après tout, on les aime bien quand même ;-).)

Ponti

Les trankilous (p. 27)

22 décembre 2009

A la tombée du jour (2) - Carnet de Stockholm (10)

... et la tour de l'hôtel de ville se profile, trait noir sur l'or du ciel et de l'eau.

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La tour de l'hôtel de ville et Kungsholmen, Stockholm (Cliché Fée Carabine)

21 décembre 2009

Une blanche épure

"Neige", chorégraphie de Michèle Anne de Mey

Théâtre Royal de Namur, le 16 décembre 2009

S'ouvrant sur les notes de la septième symphonie de Ludwig van Beethoven - celle que Richard Wagner avait surnommée "l'apothéose de la danse" -, la nouvelle chorégraphie de Michèle Anne de Mey nous offre bien plutôt une blanche épure où les mouvements des danseurs se réduisent au plus simple, au plus nu. Les corps s'y perdent dans le blanc, doux ou hostile. Ils tracent d'étranges messages dans l'épaisse couche des flocons, se muent en chasse-neige ou se figent dans une attente immobile pour nous offrir un spectacle dépouillé, d'une grande et austère beauté.

Présentation du spectacle sur le site du Théâtre Royal de Namur

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