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Dans mon chapeau...
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31 janvier 2010

Embrumé, enfumé et (très) alcoolisé

"Le carnet noir" de Ian Rankin41XY2TN6ZJL__SL500_AA240_
4 étoiles

Gallimard/Folio policier, 2008, 465 pages, isbn 9782070410781

(traduit de l'Anglais par Michèle et Frédéric Witta)

Si l'inspecteur John Rebus - héros récurrent des romans écossais de Ian Rankin - a déjà amplement fait ses preuves, c'est la première fois que je me glisse dans ses pas, prenant en quelque sorte le train en marche avec ce roman situé bien avant dans la série de ses enquêtes. Mais cela ne m'a pas gênée le moins du monde, même si l'on sent bien qu'il y a tout une histoire, tout un passé en jeu ici. Entre John Rebus et sa tendre amie d'abord, le docteur Patience Aitken, qui lassée de ses retours tardifs et surtout très imbibés, le flanque carrément à la porte de leur appartement dans les premières pages du roman. Entre John Rebus et certains de ses collègues de la police d'Edimbourg ensuite, et tout particulièrement Brian Holmes, dans le coma après un passage à tabac qui a mal tourné. John Rebus se contenterait d'ailleurs volontiers de mener l'enquête sur cette seule agression – enquête qui le renvoie du reste à un meurtre commis des années auparavant et resté non élucidé -, mais les voies de la Providence et surtout celles tout aussi impénétrables de ses supérieurs hiérarchiques ont pour lui de toutes autres visées...

Ajoutez donc une planque longue et fastidieuse afin de coincer un baron de la pègre locale, une agression bizarre dans une boucherie, un pédophile récemment remis en liberté, et le retour inattendu dans la vie de John Rebus de son frère-prodigue, et vous comprendrez qu'on n'a aucune raison de s'ennuyer à la lecture de ce "carnet noir" qui n'a pourtant rien d'un de ces romans policiers speedés et à l'action trépidante. Non, il s'agit bien plutôt d'un de ces polars à atmosphère, une atmosphère embrumée à souhait dans les brouillards écossais, enfumée et vraiment très alcoolisée ainsi qu'il se doit lorsqu'une enquête vous fait visiter un pub d'Edimbourg après l'autre. Et ma foi, je dois bien avouer que lorsque l'affaire est bien menée – ce qui est le cas, sous la plume de Ian Rankin -, j'aime à m'encanailler de temps à autre dans ces parages mal fâmés. Et en bref, j'en redemande!

D'autres livres de Ian Rankin sont présentés sur Lecture/Ecriture.

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30 janvier 2010

Le goût des mots

"S-h-a-k-e-s-p-e-a-r-e. Ça avait un goût de noisettes, on avait la sensation de casser des noisettes avec sa langue. Il y avait de l'inquiétude dans ce mot, comme dans un accord indissoluble. S-h-a-k-e-s-p-e-a-r-e."

Torborg Nedreaas, "Musique d'un puits bleu", Cambourakis, 2009, p. 52 (traduit du Norvégien par Régis Boyer)

27 janvier 2010

D'amour et d'exil

"Café Nostalgia" de Zoé Valdés4100TXWPZFL__SL500_AA240_
4 1/2 étoiles

Actes Sud/Babel, 2000, 394 pages, isbn 2742724028

(traduit de l'Espagnol par Liliane Hasson)

Quatrième étape de mes retrouvailles avec Zoé Valdés, auteur des mois d'octobre et novembre 2009 sur Lecture/Ecriture. Et pour le coup: que du bonheur!

Exilée loin de son île natale, Marcela peine à faire front à l'absurdité de la politique cubaine comme à celle du destin. Elle peine à faire sens de l'abandon de ses parents, qui ont émigré vers Miami en la laissant seule, encore toute jeune étudiante, de ses déceptions amoureuses et surtout de la mort atroce de celui qui fut son gros béguin d'adolescente, un homme plus âgé, marié et père d'un petit garçon qu'il emmenait chaque jour au parc pour jouer au base-ball - un événement tragique qui n'a cessé depuis lors de projeter son ombre sur sa vie.

Pendue au téléphone avec ses amis d'enfance, dispersés à travers le monde, quand elle n'est pas plongée dans la relecture de "La recherche du temps perdu", avouant d'ailleurs "(...) je ne lisais pas Proust pour oublier ni pour ne divertir, c'était plutôt le contraire, je le lisais pour me souvenir, pour approfondir ma réflexion et mon attitude devant la vie." (p. 320), Marcela semble avoir choisi de vivre dans la nostalgie et la remémoration de son île perdue, et dans la révolte et la colère vis à vis du régime politique qui l'en a chassée.

Elle s'échine en vain à trouver l'amour, et à pousser ses racines à Paris, où elle vit, arpentant à longueur de journées le Marais ou, dans le Quartier latin, un périmètre qui a pour coeur le musée des thermes de Cluny et la salle qui y est consacrée à la Dame à la licorne, dont les six tapisseries prêtent d'ailleurs leurs titres aux six chapîtres de "Café Nostalgia": "l'odorat, intranquillité", "le goût, danger", "L'ouïe, oubli", "le toucher, doute", "la vue, harmonie" et enfin, la sixième, l'aboutissement, "à mon seul désir". Placé sous le patronage de cette allégorie amoureuse, le roman déploie une fresque extrêmement sensuelle et vivante de la vie de son héroïne de La Havane aux bords de la Seine, en passant par New York, et le récit d'une quête d'amour d'un érotisme torride - parfois cru mais jamais gratuit -, qui culmine en une scène d'anthropophagie proprement ahurissante...

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La Dame à la licorne, Musée des Thermes de Cluny, Paris (source: wikimedia commons)

Nostalgie et sensualité sont vraiment les maîtres-mots de ce roman magnifique, brûlant aussi de l'amour de la littérature, et de ces livres qui ne cessent d'éveiller dans notre présent des échos qui empruntent autant à leur contenu qu'à notre propre passé, et aux heures que nous avons déjà partagées avec eux.

C'est un roman de révolte et de colère.

Un roman d'amour et d'exil.

Mais surtout d'amour.

Extrait:

"Enfin, bref, j'ai commencé ma lecture, j'allais des pages à l'extase, à tout instant je jetais un coup d'oeil sur le quartier par la fenêtre: dehors l'eau ridée du fleuve ressemblait à du vesou vert bouteille; son débit extrêmement lent marquait de son diapason le rythme de ma lecture. Les yeux baignés de larmes de nostalgie pour mes rendez-vous adolescents avec la littérature, le moins que je pouvais faire, c'était un hommage silencieux à ma Havane. Il y a des oeuvres qui me touchent momentanément, d'autres, comme celle-ci, ne cesseront jamais de me faire tressaillir; non par leur contenu, mais parce que leur relecture me renvoie à mon innocence inexplorée, aux jours où j'avais confiance en ma maturité future, sans appréhension, où je m'imaginais dans ma plénitude, assurée, stable, comme une formidable héroïne d'un film sublime de la nouvelle vague." (pp. 71-72)

D'autres livres de Zoé Valdés, dans mon chapeau: "Soleil en solde", "Une Habanera à Paris""L'éternité de l'instant" et "Danse avec la vie"

24 janvier 2010

Des héros cassés par la vie

"Le boxeur manchot" de Tennessee Williams41DZQZVA7CL__SL500_AA240_
4 étoiles

Robert Laffont/Pavillons poche, 2006, 219 pages, isbn 2221105974

(traduit de l'Anglais par Maurice Pons)

La fréquentation de son théâtre - "La ménagerie de verre", "Un tramway nommé désir"... - m'avait permis de découvrir en Tennessee Williams un dramaturge attentif aux plus faibles, soucieux de mettre en lumière des personnages malmenés par la vie, cassés déjà ou tout simplement trop fragiles ou inadaptés. Et je viens de retrouver les mêmes héros un peu cassés dans ce recueil de nouvelles, dont "Portrait d'une jeune fille en verre" reprend d'ailleurs sous une forme narrative l'argument de "La ménagerie de verre".

Doux rêveurs quelque peu décalés tels le personnage central de la nouvelle "Le poète", miss Gelkes ("La nuit où l'on prit l'iguane") ou Homer Stallcup ("Le champ des enfants bleus"), ou êtres solitaires qu'une force obscure pousse à l'auto-destruction comme Oliver Winemiller (héros de la nouvelle-titre) ou encore Anthony Burns ("Le masseur noir"), "Le boxeur manchot" nous offre autant de concentrés d'humanité et de fragilité, solidement plantés d'une plume efficace qui n'hésite pas à flirter, en toute liberté, avec le merveilleux ou le fantastique ("Chronique d'une disparition", "L'oiseau jaune"). Et si le ton de Tennessee Williams peut aussi se faire mélancolique ou caustique, atteignant par moment à une réelle drôlerie, c'est avant tout son attention  - toute simple, sans grande phrase - pour ses héros, qui marque le plus durablement l'esprit à la lecture de ce beau recueil.

Extrait:

"Il n'avait aucune idée de ce qu'étaient ses désirs réels. Désirer, cela consiste à vouloir occuper un espace plus grand que celui qui vous est offert - et cela était spécialement vrai dans le cas d'Anthony Burns. Ses désirs, ou plutôt son désir fondamental était tellement trop grand pour lui qu'il l'engloutissait complètement - comme un manteau qu'il aurait fallu couper en dix manteaux plus petits. ou, plus exactement: c'est beaucoup plus de Burns qu'il aurait fallu pour remplir ce manteau-là." (pp. 88-89)

23 janvier 2010

"Femmes des années folles"

Onze années très noires
la mort était là pour la première fois
avec son visage de tango
la fleur serrée entre les dents.
Après avoir été
une traînée exhibant ses paillettes
au théâtre elle m'expliquait l'argent pièce à pièce
- ses yeux se fermèrent -
l'amoureuse la sublime
femme des années folles
elle a vieilli elle est morte hier
elle avait un saint homme dans la peau
encore même à l'agonie
elle l'aima avec un caillot de sang qui lui brouillait la langue
avec ses yeux gris azurés
cette raie au milieu brillantinée et le bandonéon
éclaboussait de tragédie ses bas tissés
- folle à lier par sa bouche rouge -
les femmes des années folles prennent la fuite
comme ça entre les doigts
histoires de foetus noyés dans les cuvettes des w.-c.
et moi j'adorais sa jupe ardente
le mégot lancé furieusement sur trottoir
écrasé à n'en plus pouvoir sous le soulier de satin
le sourcil arc-en-ciel duveteux
fausses émeraudes transperçant les oreilles
alcooliques prostrées
pourries génériques sanglantes
pétries glaciales humbles
maigres et nues des années folles
elles viennent se jeter sur un lit
- dehors c'es le carnaval du monde -
puritaines putes pacifiques
j'ai hérité d'elles
je leur arrache le cancer du rein
j'absorbe jusqu'à la dernière cendre de leur maigreur
félonies dans les hôtels toilettes pimpantes poignardées
je jure et tire contre les gangsters
contre les macs impuissants
sadiques gélatineux
aigres fantômes des carrefours
je pleure sur l'album de photos me penche vacille
après tout ce temps on peut dire qu'elles ont été tuées par
l'abstinence les scandales
le balais la planche à repasser
les chaudrons charbonneux les jupons brodés
les suçons sous les bras
les gros ventres les bars les victrolas les perruques
les grains de beauté à demi effacés par la sueur
- j'ai peur de la rencontre avec le passé qui revient -
vieilles aimées des années folles
souveraines mal lunées poupées savoureuses
lionnes faciles elles me plaisent
je les admire je me suicide pour vous chers fossiles
qui vont me laisser leurs malles pleines de fringues
la vocation d'actrice
les clés du nid amies décorées
cinéma muet corsets amidonnés
bavardes pisseuses
qui vont me les laisser
ne faites pas les comptes de leurs années
enragées du tango croupissant sur des chaises roulantes
aveugles rouspéteuses raisonnables femmes des années folles
je suis ici grâce à vous.

Zoé Valdés, "Une Habanera à Paris", Gallimard/Du monde entier, 2005, pp. 35-37 (traduit de l'Espagnol par Claude Bleton)

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21 janvier 2010

Kaléidoscope sensoriel

"Musique d'un puits bleu" de Torborg Nedreaas51DHCg5HB5L__SL500_AA240_
4 étoiles

Cambourakis, 2009, 308 pages, isbn 9782916589428

(traduit du Norvégien par Régis Boyer)

Une petite dizaine de printemps, de longues tresses rousses et un album de poésie en bandoulière, Herdis voit son monde s'effondrer, et même doublement sous les effets conjugués du divorce de ses parents et de la première guerre mondiale qui bat alors son plein. Des bouleversements d'importance que Torborg Nedreaas choisit ici de nous présenter exclusivement à travers les perceptions de son héroïne qui, si elle est bien trop jeune pour comprendre tous les tenants et aboutissants de ces événements, fait preuve d'une acuité sensorielle, et d'une originalité de vue, tout à fait étonnantes.

Le regard que Torborg Nedreaas pose par ce biais sur la Bergen des années 1910 est bien singulier: décomposé en courtes saynètes dont l'enchaînement ne s'impose pas toujours de façon évidente et dont l'interprétation incombe presque totalement au lecteur, confronté, à travers les yeux d'Herdis, aux faits bruts, sans explication. On verra ainsi des voisins chassés de leur logement dont ils n'ont pu payer le loyer, tandis que l'on ne surprendra que par quelques allusions discrètes la spéculation effrenée par laquelle quelques esprits peu scrupuleux – dont le père d'Herdis – tentent de mettre à profit les années de guerre pour faire fortune. Comme l'on verra disparaître l'un après l'autre les tableaux qui ornent les murs de l'appartement des grands-parents maternels. Mais singulier, ce monde l'est aussi, que Torborg Nedreaas ressuscite dans "Musique d'un puits bleu": celui d'une petite communauté juive émigrée de l'Allemagne vers la Norvège au XIXème siècle, à laquelle appartient justement la famille maternelle d'Herdis. L'on comprend d'ailleurs - fut-ce en partie grâce aux éclaircissements apportés par Régis Boyer dans une préface fort intéressante - que les convictions farouchement germanophiles du grand-père sont largement responsables des difficultés économiques que rencontre sa famille. Et qu'elles ne contribuent pas peu aux nombreux froncements de sourcils que suscite chez la grand-mère paternelle de notre petite héroïne, qui est elle terriblement norvégienne et bonne protestante, le clan de son ex-belle fille...

Passé un premier abord quelque peu déstabilisant, "Musique d'un puits bleu" se révèle comme un roman profondément original. Et une très belle découverte de l'oeuvre d'un écrivain que Régis Boyer, fin connaisseur des lettres scandinaves s'il en est, nous présente comme l'un des principaux auteurs norvégiens des années d'après-guerre.

Extrait:

"Elle avait jeté son manteau sur le premier siège venu et s'était recroquevillée dans le fauteuil de cuir devant la fenêtre, où elle écoutait avec ses yeux, ses oreilles, son épiderme. A certains endroits, pluie et grêle s'abattaient verticalement en formant une bande aussi violente que du feu, tandis que des flocons qui ne parvenaient pas à se décider pour un endroit où se poser, dansaient avec insouciance. Ils se taquinaient mutuellement, se fuyaient les uns les autres. Ils soulevaient avec eux les notes inquiètes des cloches et les éparpillaient sur le monde de telle façon qu'elles s'effritaient et tombaient en petits fragments." (p. 167)

20 janvier 2010

Le sens du détail - Carnet de Stockholm (12)

Dans la belle propriété du prince Eugène, à Waldemarsüdde, il n'est pas jusqu'à la clôture qui ne témoigne d'un sens aigu du détail...

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Clôture de la propriété du prince Eugène à Waldemarsüdde, Stockholm (Cliché Fée carabine)

18 janvier 2010

"Là sans y être..."

"Entre le papier peint et le mur" d'Hélène Amouzouhelene
5 étoiles

Michel Husson, 2009, 72 pages, isbn 2916249575

Galeriste et éditeur bruxellois, Michel Husson se consacre plus particulièrement à la photographie. Et les photographies, de fait, occupent toute la place dans le – beau - petit livre qu'est "Entre le papier peint et le mur". Il est vrai que celles-ci parlent d'elles-mêmes, qu'elles sont en d'autres mots bien assez éloquentes pour qu'un bref avant-propos (une page à peine de la plume de Jean-François Bodson) suffise à les mettre en perspective.

Dans ces auto-portraits réalisés dans un coin de son grenier, avec très peu de moyens – un petit appareil d'occasion, et de très longs temps de pose -, Hélène Amouzou semble en effet perpétuellement être "là sans y être". En partance, réduite à une ombre voire même évaporée quelque part dans cet espace indéfini entre le papier peint et le mur, ne laissant comme seule trace qu'une valise posée sur le sol ou encore une robe imprimée de fleurs qui se fondent dans le motif de la tapisserie. Une métaphore transparente du statut précaire de l'artiste, réfugiée togolaise en attente d'une régularisation qu'elle vient enfin d'obtenir tout récemment, dix ans après son arrivée en Belgique.

Ces photos sont autant d'images jouant du flou et de l'incertain, troublantes, émouvantes et fortes, et qui semblent de prime abord se dissimuler entre les pages non massicotées à l'égal de l'auteure prise entre le mur et le papier peint. Mais surtout ce sont des images parfaitement éloquentes, vraiment, sans plus de commentaire...

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(p. 65)

Présentation du livre, sur le site de l'éditeur.

15 janvier 2010

"Up in the sky"

la_haut"Là-haut" des studios Pixar,
sous la direction de Pete Docter et Bob Peterson

Dernière production en date des studios Pixar, "Là-haut" présente au moins un point commun avec "Wall-e": un scénario qui me laisse quelque peu sceptique. Si la première partie du film, contant la vie de Carl et Ellie jusqu'à la mort de cette dernière, est touchante et d'une gravité inattendue dans un dessin animé destiné aussi (avant tout?) à un jeune public, j'ai eu bien plus de mal à avaler les développements qui suivent le départ de Carl dans sa maison soulevée par un essaim de ballons, et surtout ces "méchants" surgis tout à coup out of the blue et auxquels personnellement je n'ai pas pu croire une minute...

Reste que l'animation est, comme d'habitude, très soignée et que ce vieux grognon de Carl se révèle mignon tout plein, au fond, alors qu'il reprend goût à la vie et qu'il noue une belle amitié avec le petit Russell. Alors ne boudons pas notre plaisir ;-).

14 janvier 2010

Passions nues

"Vingt-quatre heures de la vie d'une femme" de Stefan Zweig9782253060222
4 étoiles

Le livre de poche, 2004, 127 pages, isbn 2253060224

(traduit de l'Allemand par Olivier Bournac et Alzir Hella)

Sur la Riviera, dans les années 1900, une petite pension de famille bien "comme-il-faut" se voit frôlée par le scandale: abandonnant son mari et ses deux filles, Mme Henriette, cliente du grand hôtel voisin, vient de s'enfuir avec un jeune homme qui y était arrivé le jour-même. A la table du dîner, les langues vont bon train pour condamner la fugitive et dans la discussion qui s'échauffe, seul un des convives – à qui Stefan Zweig confie d'ailleurs la narration de ce récit – tente vaguement sinon de la défendre du moins de la comprendre. Notre homme s'attire ainsi la sympathie et la confiance d'une vieille dame anglaise, qui lui contera alors en confidence les vingt-quatre heures pendant lesquelles elle faillit elle aussi céder à une passion soudaine, vingt-quatre heures qui changèrent sa vie pour toujours.

L'argument de ce bref récit de Stefan Zweig est aussi simple que cela, et ce serait gâter le plaisir de sa découverte que d'en révéler ici davantage. Mais vraiment c'est une admirable exploration – au plus nu, au plus intense - des passions humaines que le romancier viennois nous offre ici: jusque dans ce qu'elles ont de plus sinueux, de plus dissimulé, de plus destructeur et totalement irrésistible. Nul, à l'évidence, ne doit s'en croire à l'abri. Si Stefan Zweig ne se laisse pas aller, au fil de ce texte d'une grande sobriété, à nous donner une leçon de morale – sinon peut-être pour nous inviter à ne pas juger –, le message est clair. Et les destins ainsi entremêlés de Mme Henriette et de Mrs C. donnent sans nul doute beaucoup à réfléchir...

Extrait:

"Il serait également difficile d'expliquer pourquoi notre discussion prit si vite des formes blessantes; je crois que l'irritation vint de ce que, malgré eux, les deux maris prétendirent que leurs propres femmes échappaient à la possibilité de tels risques et de telles chutes. Malheureusement, ils ne trouvèrent rien de mieux à m'objecter que seul pouvait parler ainsi quelqu'un qui juge l'âme féminine d'après les conquêtes fortuites et trop faciles d'un célibataire. Cela commença à m'irriter, et lorsque ensuite la dame allemande assaisonna cette leçon d'une moutarde sentencieuse, en disant qu'il y avait d'une part des femmes dignes de ce nom, et d'autre part des «natures de gourgandine», et que, selon elle, Mme Henriette devait être de celles-ci, je perdis tout à fait patience; à mon tour je devins agressif. Je déclarai que cette négation du fait incontestable qu'une femme, à maintes heures de sa vie, peut être livrée à des puissances mystérieuses plus fortes que sa volonté et que son intelligence, dissimulait seulement la peur de notre propre instinct , la peur du démonisme de notre nature et que beaucoup de personnes semblaient prendre plaisir à se croire plus fortes, plus morales et plus pures que les gens «faciles à séduire»." (p. 23)

D'autres livres de Stefan Zweig, dans mon chapeau: "Un soupçon légitime", "Le monde d'hier" et "Lettre d'une inconnue" et "Un mariage à Lyon"

Et d'autres livres encore sur Lecture/Ecriture

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