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Dans mon chapeau...
Dans mon chapeau...
28 septembre 2008

"La toile d'araignée"

Il y a quelques minutes, je suis sorti sur le ponton
de la maison. De là je pouvais voir et entendre l'eau,
et tout ce qui m'est arrivé pendant toutes ces années.
L'air était chaud et immobile. C'était marée basse.
Aucun oiseau ne chantait. Comme je m'appuyais à la balustrade,
une toile d'araignée a touché mon front.
Elle s'est prise dans mes cheveux. Personne ne pourra me reprocher d'être         
[alors rentré. Il n'y avait pas de vent. La mer
était d'huile. J'ai suspendu la toile d'araignée à l'abat-jour.
Où je l'observe frémir de temps à autre quand mon souffle
la rencontre. Un fil fin. Complexe.
Avant longtemps, avant que quiconque s'en aperçoive,
je serai parti.

Raymond Carver, "La vitesse foudroyante du passé", Points, 2008, p. 19 (traduit de l'Anglais par E. Moses)

Un autre poème de Raymond Carver, dans mon chapeau: "Asie"

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27 septembre 2008

Amère et dangereuse volupté

"L'Oiseau moqueur et autres nouvelles" de Jean Rhys51NS1kcnQ0L__SL500_AA240_
5 étoiles

Denoël et d'ailleurs, 2008, 167 pages, isbn 9782207260180

(traduit de l'Anglais par Jacques Tournier)

Du portrait de Jean Rhys esquissé par Christine Jordis dans la préface de ce recueil de nouvelles, émerge la figure d'une femme qui a tout vu et tout vécu, de la bohême à la misère la plus noire dans la froide et grise Angleterre, si loin des Antilles où elle avait passé son enfance. Ce parcours tragique lui inspira des livres que ses contemporains jugèrent "sordides et déprimants". Tout au long de son oeuvre, Jean Rhys s'est en effet efforcée de serrer au plus près, au plus juste, la détresse et la solitude d'êtres vaincus par la vie, communiant avec miss Dufreyne, l'héroïne de "Rue de l'arrivée" dans la conviction que "seuls ceux qui n'ont plus d'espoir peuvent se permettre de ne plus mentir, que seuls ceux qui sont malheureux peuvent offrir de la sympathie ou en recevoir - qu'ils partagent l'amère et dangereuse volupté de la misère" (pp. 55-56).

Les nouvelles rassemblées ici ne font pas exception à la règle. "L'oiseau moqueur" recèle toute la nostalgie de l'exil. "Nuit" et "Un jour gris" condensent en quelques pages à peine les angoisses que suscite la pauvreté. Quant au "Sidi" ou à "J'espionne une étrangère", ce sont les histoires poignantes de cruautés banales, ordinaires et par là-même encore plus horribles. Des nouvelles noires, très noires, oui. Mais pas sordides, ni déprimantes, ou alors pas plus que la musique de Mozart - et Dieu sait que cette musique peut être poignante et tragique, tout autant que lumineuse et légère.

De la musique de Mozart, les nouvelles de Jean Rhys ont la perfection et la grâce. Elles ne comptent pas une note, pas un mot de trop, et pourtant elles fourmillent de vie, de couleurs, de sensations. Je n'avais plus rien lu d'aussi bon depuis mes dernières plongées dans les univers de Carson McCullers ou de Mohammed Dib. Les nouvelles de "L'Oiseau moqueur" sont autant de petits miracles de sobriété, de justesse et d'émotion. Et j'ai éprouvé, malgré leur noirceur, un véritable bonheur à les découvrir. Volupté certes teintée d'amertume. Volupté dangereuse aussi car elle m'a inoculé une envie irrépressible de poursuivre ma découverte de l'oeuvre de Jean Rhys.

Extrait

"Quelle belle sonorité a parfois le patois créole! Et ces mots, Temps perdi sont à jamais dans ma mémoire. Je les écrirai quelque part avant de quitter «Rolvenden», dans l'angle d'un miroir peut-être. Et quelqu'un les lira peut-être, quelqu'un qui sait que certains jours attendent au coin de la mémoire que vous les receviez. Qui sait aussi que toute façon, on ne choisit pas ceux qu'on fait revivre. Ils choisissent eux-mêmes." (p. 143)

D'autre livres de Jean Rhys, dans mon chapeau: "Wide Sargasso Sea" et "Quai des Grands-Augustins".

24 septembre 2008

Le trombinoscope du FIFF

ico_expo_affiche_p_decoeurComme chaque année, à la fin du mois de septembre, le Festival International du Film Francophone (FIFF) s'apprête à débouler dans les rues namuroises.
Et comme chaque année, Pierre Decoeur, photographe officiel du festival, expose à cette occasion une cinquantaine de ses photos. La sélection couvre plus de quarante ans de cinéma, à travers une galerie de beaux portraits d'acteurs et de réalisateurs, courant des années soixante (Bourvil, Jean-Claude Brialy, Bernard Blier) aux jeunes talents d'aujourd'hui (Benoît Poelvoorde, Jérémie Renier, Arta Dobroshy...)

Il serait dommage de ne pas pousser la porte si vous passez par là...

Dans le hall de l'agence Fortis, 21 Rue des Carmes à Namur, à deux pas du cinéma Caméo 2 qui accueille le festival.

Entrée libre pendant les heures normales d'ouverture de l'agence, du lundi au vendredi de 9h à 16h, jusqu'au 31 octobre.

23 septembre 2008

Azulejos (1)

On ne peut partir à la découverte du Portugal sans se retrouver, à un moment ou à un autre, nez à nez avec l'un de ces fameux panneaux d'azulejos. Les errances lisboètes de Jean-Yves Loude ne font pas exception, puisque celles-ci l'ont mené dans les jardins du palais de la Fronteira dont les tableaux d'azulejos aux thèmes pour le moins insolites ont inspiré à Pascal Quignard un récit étrange et fascinant (voir, à ce sujet, ici, et aussi là-bas).

Je n'ai jamais, pour ma part, visité ces jardins. Et mes pérégrinations dans le nord du Portugal ne m'ont pas permis de découvrir de représentations d'esclaves et de serviteurs venus d'Afrique, mais bien ce très drôle d'oiseau!

 

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Porto, Cloître de la Cathédrale (cliché Fée Carabine)

Azulejos (2) et (3)

22 septembre 2008

Lisbonne l'Africaine

"Lisbonne, dans la ville noire" de Jean-Yves Loude
4 1/2 étoiles41EMANVMV5L__SS500_

Actes Sud, 2003, 314 pages, isbn 2742742530

Ethnologue spécialiste notamment du Cap-Vert et des formes musicales qui y ont vu le jour, fruits du croisement d'influences portugaises et africaines, Jean-Yves Loude nous entraîne ici vers une destination certes moins lointaine mais pas moins étrange: à la recherche des innombrables traces de présence africaine à Lisbonne. Une présence dont les premiers sédiments se sont déposés dans la métropole des bords du Tage dès le XVe siècle, et n'ont plus cessé depuis lors de s'y accumuler, amenés d'abord par les esclaves - qui ne poursuivaient pas tous leur route vers le Brésil, contrairement à l'idée communément répandue - et plus récemment par les nombreux immigrés angolais, cap-verdiens ou mozambicains qui ne cessent d'affluer vers la capitale portugaise.

Je me suis régalée, de toutes les façons possibles, tout au long de ma lecture du récit de Jean-Yves Loude. L'errance qu'il nous fait partager au fil des ruelles lisboètes est une fête continuelle, festival de musiques, de saveurs et de parfums venus des quatre coins du continent noir.

Et pourtant, "Lisbonne, dans la ville noire" est bien loin d'évacuer les aspects douloureux de son sujet. Jean-Yves Loude a su prêter une oreille attentive à ce propos du chorégraphe cap-verdien, Toni Tavares: "La présence de nous autres, Africains, à Lisbonne est fragile. Notre représentation politique est nulle. La vie associative tourne autour de la fête et de la nourriture. Musique et cachupa. La dimension africaine est en permanence réduite à ces éléments: bal, rythmes, bouffe. Tactique propice à la non-reconnaissance de toute création ou émergence d'une pensée africaine." (pp. 85-86). Les voix qui se font entendre dans ces pages révèlent donc une réalité aux multiples facettes. Avec côté face, quelques réussites exemplaires: petits entrepreneurs, sportifs, artistes, et quelques projets sociaux et éducatifs qui mettent ça et là du baume au coeur des immigrés. Avec au revers, le racisme, l'exploitation économique, les logements dans des bidonvilles insalubres dont les habitants répugnent pourtant à être relogés ailleurs car ils ont recréé, autour de leurs abris de fortune, le réseau de solidarités de leur village d'origine. Et puis, surtout, surtout, la méconnaissance de leurs anciennes colonies que les anciens colonisateurs continuent aujourd'hui encore à entretenir soigneusement. Et l'occultation de tout un pan d'histoire: la présence africaine en Europe du XVe au XIXe siècle, suscitant "une surprise, non seulement au Portugal, mais en France, en Europe, qui donne la mesure de la tâche de divulgation à accomplir, tant on s'est appliqué à jeter le cadavre de cette histoire dans le puits des Nègres et à le recouvrir de chaux blanche, couleur de la bonne conscience." (p. 125)

"Lisbonne, dans la ville noire" est donc, aussi, un livre grave, qui explore des zones d'ombre de la société contemporaine et de l'histoire européenne. C'est un livre qui conte une histoire de révolte, de souffrance et d'injustice. Et cela reste pourtant, de bout en bout, un régal. Un livre chaleureux, savoureux et festif. A l'égal de certaines des musiques cap-verdiennes qui n'ont pas peu contribué à lancer Jean-Yves Loude dans cette redécouverte de Lisbonne.

 

 

 

Extrait:

"Je me réveille avec un chiffre en tête: dix pour cent. Lisbonne a compté jusqu'à dix pour cent de Noirs au sein de sa population, et cette proportion s'est vérifiée à plusieurs reprises aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les premiers esclaves noirs arrivèrent au Portugal cinquante ans avant que Colomb ne révèle des terres inconnues, que Vasco de Gama ne revienne de son tour aux Indes, et que Pedro Alvarez Cabral ne touche la terre de la Sainte-Croix appelée à devenir le Brésil. Qui connait aujourd'hui l'histoire édifiante de cette promiscuité multiséculaire entre un pays d'Europe et l'Afrique? Une relation quotidienne, sans distance, non rejetée au-delà de l'écran atlantique, dans de lointaines colonies. Une confrontation qui s'est faite aussi bien en bord de mer que dans l'arrière-pays, à laquelle ne pouvaient échapper ni les aristocrates ni les paysans." (p. 36)

Le site de l'auteur

Vous trouverez aussi, dans mon chapeau, plusieurs fiches consacrées à des livres de Mia Couto, auteur mozambicain d'expression portugaise que Jean-Yves Loude évoque ici avec admiration: "Un fleuve appelé temps, une maison appelée terre" et "La véranda au frangipanier"

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21 septembre 2008

Lectures érotiques...

"Il faut dire que, jadis, les livres étaient beaucoup plus sensuels qu'aujourd'hui: il y avait largement de quoi sentir, caresser et toucher. Certains avaient une couverture en cuir odorante, un peu rugueuse, gravée en lettres d'or, qui vous donnait la chair de poule, comme si l'on avait effleuré quelque chose d'intime et d'inaccessible qui se hérissait et frissonnait au contact des doigts. D'autres possédaient une jaquette en carton recouverte de toile au parfum de colle très érotique. Chaque livre avait son odeur propre, mystérieuse et excitante. Et lorsque la jaquette de toile bâillait, telle une jupe impudique, on avait toutes les peines du monde à se retenir de loucher sur l'interstice entre le corps et le vêtement et s'enivrer des effluves qui s'en exhalaient."

Amos Oz, "Une histoire d'amour et de ténèbres", Gallimard/Folio, 2005, p. 43 (traduit de l'Hébreu par S. Cohen)

Auteur des mois d'août et septembre 2008 sur Lecture/Ecriture

21 septembre 2008

"Comme des mouches collées au ruban de leurs opinions sur le monde"

"Côte ouest" de Paula Fox41fw6CIyQbL__SS500_
5 étoiles

Joëlle Losfeld, 2007, 447 pages, isbn 9782070789450

(traduit de l'Anglais par Marie-Hélène Dumas)

De New York à la côte ouest, et retour au bout de cinq années de séjour à Los Angeles, la ville du rêve américain s'il en est, miroitante des feux de tous les mirages hollywoodiens. Tel est le périple initiatique d'Annie Gianfala, l'héroïne de "Côte ouest". En 1939, Annie a dix-sept ans et son père, partant pour le Nouveau Mexique et un nouveau mariage, vient de la laisser seule dans leur appartement new yorkais. Mais seule, Annie ne le restera pas longtemps, car il ne manque pas de bonnes âmes et prosélytes de tout poil, plus ou moins bien intentionnés, et désireux de prendre sous leur aile la pauvre orpheline.

A première vue, Annie donne l'impression d'un être à la dérive, se laissant porter par le courant: terriblement jeune, terriblement ignorante du monde comme il va, terriblement influençable. Pourtant, elle ne tarde pas à révéler une personnalité bien plus insaisissable, bien plus forte que ce que le premier abord laissait supposer. Elle absorbe tout, de tout son être. Elle observe tout, jusqu'à l'épuisement parfois, du regard acéré de celle qui ne s'en laisse pas conter. Si bien qu'à travers les yeux de cette toute jeune femme, Paula Fox nous offre un magnifique état des lieux de l'Amérique au tournant des années trente et quarante. Les Etats-Unis sortent alors tout juste des derniers remous de la grande crise de 1929, et leur entrée en guerre ne fera que confirmer la reprise économique. Les usines d'armement tourneront bientôt à plein régime, tout comme les usines à rêves des grands studios, et le parcours d'Annie Gianfala nous entraîne des unes aux autres, nous faisant côtoyer au passage une fabuleuse galerie de personnages: scénaristes, aspirants-acteurs, ouvriers, petits commerçants, syndicalistes et dévots-communistes enferrés dans les atermoiements de la politique stalinienne, dont beaucoup sont "comme des mouches collées au ruban de leurs opinions sur le monde" selon les mots mêmes d'Annie.

Née en 1923, Paula Fox avait rencontré un certain succès à la parution de ses deux premiers romans dans les années 1960. En 1972, son troisième livre, "Côte ouest", a marqué pour elle le début d'une longue traversée du désert qui devait durer près de vingt ans. Il fallut pour y mettre un terme l'intercession de quelques uns de ses jeunes collègues: Jonathan Franzen, Andrea Barrett ou encore Frederick Busch qui offre à la traduction française de "Côte ouest" une préface dithyrambique et, disons-le, tout à fait justifiée. A leurs yeux, Paula Fox n'est rien de moins qu'un des plus importants écrivains du XXème siècle. Et au moment de refermer ce roman magnifique d'intelligence, de lucidité, de maîtrise et de justesse dans l'expression, je ne peux certes pas leur donner tort. Voilà bien une auteure à (re)découvrir de toute urgence!

Extraits:

"Allongée, inerte, elle se sentait épuisée. De la fatigue des observateurs, se dit-elle. Si seulement elle avait pu ne pas tant observer les gens! Le moindre changement d'expression, le moindre fil sur un vêtement, le moindre trou dans une chaussure, la moindre saleté sur les doigts, leurs regards dangereux et imprévisibles, la façon dont ils aspiraient l'air entre leurs dents ou se grataient la joue provoquaient en elle une réaction d'angoisse macabre!" (p. 77)

"Il lui semblait que, chaque fois qu'elle quittait un endroit, elle tirait derrière elle une traîne de débris: promesses brisées, attentes déçues qu'elle avait suscitées sans le vouloir. Qu'y avait-il en elle d'exceptionnel? Qui dépassât les circonstances particulières de son histoire personnelle, qu'elle détournait avec humour dans l'unique but d'attirer l'attention, celle de n'importe qui? Tout le problème était là! L'histoire n'annonçait que l'existence de celle qui la racontait, oui, tout le problème était là!" (p. 91)

 D'autres livres de Paula Fox, dans mon chapeau: "Le dieu des cauchemars" et "Les enfants de la veuve"

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