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Dans mon chapeau...
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28 juin 2011

"Sur la route"

Je ne suis pas allé voir le Gange. Un autre projet, ou le hasard m'ont entraîné vers de vastes horizons, des routes follement encombrées, des nuages comme des voiles contre le vent.
Du côté de l'orient, une fournaise liquide qui noie la route dans sa couleur orangée, avec des fabriques qui se détachent de chaque côté, de grands arbres profanés par la fumée et la réalité toute proche des champs de moutarde, terres sans fin, le rien absolu définissant le tout.
J'ai soif, d'eau, d'autres horizons, de la métamorphose de ce monde.
Les bazars se succèdent, les villes bazars; l'Inde est un immense bazar, vertige de ces grosses lèvres clamant l'urgence de faire des affaires. Baraques en bois et tôle ondulée, arsenaux de brimborions et de trésors, tous les thés, mille étoffes, mille arômes, nacres transparentes, ivoires, argenterie éblouissante, splendeur des glaïeuls dans leur bassines en cuivre, grincement des prtes qui s'entr'ouvrent.
Au bord de la route, où l'accident toujours guette, il y a des chèvres, des cochons, des chiens qui aboient, à côté d'énormes camions, de trains arrêtés sur des rails rouillés, et la lumière énigmatique d'une paire d'yeux noirs qui regarde le temps défiler sur l'asphalte.
Les barrages et les péages sont nombreux. Nous entrons dans l'Etat d'Uttar Pradesh derrière une fourgonnette pleine de turbans sikhs. L'Inde des conflits religieux et culturels est partout présente, dans ce front qui pense, cette main qui taille la roche, le tourbillon de la route, les journaux que j'achète, les regards que l'on sonde. Ombres de nuit en plein jour. Hindouistes et musulmans travaillent côte à côte, et la haine coule dans leur veine. Et cependant, comme il est vert ce vert exotique autour des villes saintes où les minutes brasillent dans le sourire lascif de Shiva. Et le murmure des prières se confond avec la pourriture, les paillettes et les soieries chaleureuses, les courtepointes, les céramiques incassables, les huiles de la volupté, lers rêves brisés, l'odeur de poivre et de gingembre, la musique et la frénésie de l'interminable bazar.

Urbano Tavares Rodrigues, "Visages de l'Inde et autres rêves", Editions de la Différence, 2009, pp. 44-45 (traduit du Portugais par Marie-Hélène Piwnik)

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27 juin 2011

"Un peu de temps volé avec une aimable inconnue"

"Du train où vont les choses à la fin d'un long hiver" de Francis Dannemark41EXjFgXoyL__SL500_AA300_
4 ½ étoiles

Robert Laffont, 2011, 92 pages, isbn 9782221115060

Vingt années ont passé depuis la publication de "Choses qu'on dit la nuit entre deux villes", et j'aurais pu tout aussi bien intituler ce billet "Vingt ans après". Car "Du train où vont les choses à la fin d'un long hiver", c'est à nouveau février, et c'est à nouveau le récit d'une rencontre de hasard entre un homme et une femme, le temps d'un long trajet en train de Bruxelles à Lisbonne. Vingt ans après, aussi, car Emma et Christopher ont à peu près vingt ans de plus que Wolf et Lena. Ils portent la charge des déceptions et de la lassitude de ces vingt années. Et Christopher trimballe en sus le poids des conséquences de la crise économique – la dernière en date, celle de 2008 qui n'en finit pas d'en finir. Sa petite boîte d'organisation d'événements culturels se trouvant tout au bout du rouleau pour cause de réduction drastique dans les budgets publics consacrés à la culture, Christopher est bon gré mal gré sur le point de changer de vie et il a pas mal réfléchi à ce qui comptait vraiment pour lui, ou pas. La tonalité de ce nouveau roman est donc un peu plus sombre que lors de cette autre rencontre en bord de mer, il y a vingt ans, et pas seulement à cause de la pluie fouettant les vitres d'un train qui roule dans la nuit.

Mais n'allez pas croire pour autant que l'heure soit à la morosité. Car si Christopher est "apparemment  de la race de ces Anglais extravagants qui se lançaient dans des aventures insensées avec la rigueur, la saine logique et la tranquillité d'esprit d'un pasteur de province..." (p. 36), il a aussi vu tout de suite qu'Emma, elle, ressemble à Holly Hunter. Elle a son sourire dans le film "Living Out Loud" de Richard LaGravenese: un sourire "(...) très beau parce qu'il n'efface pas la trace de ses déceptions, de son chagrin. Il y a une pointe d'amertume, de la moquerie, un peu de colère aussi, mais c'est un sourire, un vrai sourire. Avec une véritable envie de vivre." (p. 85) Comment aurait-il pu trouver inconnue plus aimable pour partager un peu de temps volé, et ces conversations à batons rompus où viennent se mêler à l'état du monde comme il va – ou plutôt comme il ne ne va pas –, à l'évocation de trajectoires professionnelles et à quelques souvenirs personnels, des bribes de films ou de livres aimés sans qu'il y ait là  ni snobisme ni étalage. Simplement Emma et Christopher vivent avec ces livres ou ces films, dans leur intimité pourrait-on dire, et il y a pour le lecteur un vrai petit bonheur, et une certaine douceur, à rentrer dans cette intimité, retrouver ses propres souvenirs ou picorer ça et là une envie de découverte ("Living Out Loud", par exemple).

Et surtout, il y a le ton, la patte, le je-ne-sais-quoi qui fait qu'on reconnaît immédiatement un livre de Francis Dannemark. Cette petite musique qui distille ici tout son charme, une petite musique décidément indéfinissable sauf à reprendre les quelques mots par lesquels Christopher tente de rendre l'essence du jazz: "c'est un mélange d'élégance et de souplesse, (...) c'est la magie de l'instant, comment dire? Un léger détachement, un équilibre fragile et émouvant..." (p. 48) Du jazz, de l'amour, et de la petite musique des mots de ce récit, Emma pourrait nous dire "C'est peut-être la même chose, vous ne croyez pas?" (p. 48)

Extrait:

"J'ai pris le train parce qu'il est tellement plus lent que l'avion et parce que j'avais besoin de... de me mettre dans un coin sans bouger, la tête collée à la fenêtre, pour sentir le temps qui passe. L'été dernier, lors de quelques jours de vacances avec mes enfants qui allaient l'un et l'autre voler de leurs propres ailes pour de bon, je me suis rendu compte, un matin, alors que je préparais la table du petit déjeuner sur la terrasse, que la vie était vraiment aussi courte qu'on le dit dans les livres, plus courte encore, et que j'avais vécu tant de choses si vite qu'elles n'avaient pas eu le temps de laisser de traces. J'ai eu l'impression que je venais de passer des années dans un train à grande vitesse et que tous les paysages traversés s'étaient mêlés pour former... une sorte de mauvais tableau... une photo floue qui vous fait penser qu'il est très urgent de voir un ophtalmologue... Ce matin-là, j'ai su que je voulais arrêter." (pp. 59-60)

"Je croyais avoir besoin de voyager seul et de rester silencieux vingt-quatre heures pour regarder en face le temps qui passe. En réalité, j'avais besoin d'autre chose. J'avais besoin, je crois, de partager un peu de temps volé avec une aimable inconnue." (p. 60)

Un autre livre de Francis Dannemark, dans mon chapeau: "Choses qu'on dit la nuit entre deux villes"

Et d'autres encore, sur Lecture/Ecriture.

25 juin 2011

Un vieux grincheux au bon coeur?

19057560_jpg-r_160_214-b_1_CFD7E1-f_jpg-q_x-20090212_045015"Gran Torino" de (et avec) Clint Eastwood,
avec aussi Ahney Her et Bee Vang

Le Clint Eastwood cru 2008 est aussi sa dernière apparition devant la caméra dans son rôle fétiche de vieux grincheux misanthrope, bourré de préjugés - touchant notamment la population asiatique de plus en plus nombreuse dans son quartier résidentiel de Detroit -, et qui use volontiers d'arguments... disons frappants.

Jouant de ces stéréotypes, alors que son héros apprend enfin à connaître les deux grands ados dont la famille occupe la maison voisine, qu'il découvre leur culture et se décide bon gré mal gré à les prendre sous son aile, Clint Eastwood nous livre ce qui est certainement un de ses très bons films: un film sec, dense et résolument dépourvu de tout sentimentalisme sur la transmission - d'une expérience, d'un savoir-faire, de valeurs, bref d'un héritage quel que soit la forme qu'il puisse prendre, celle d'une idée, d'une médaille ou d'une voiture, cette Ford Gran Torino que le personnage qu'incarne Clint Eastwood avait contribué à fabriquer et qui fait toute sa fierté. 

C'était à l'antenne de la RTBF il y a une dizaine de jours. Sans chichis, sobre, juste, efficace. Et du Clint Eastwood de cette trempe, on en redemande alors que se profile déjà à l'horizon l'insondable vacuité de la programmation télévisuelle estivale...

3 juin 2011

Sobriété et justesse

MV5BMTIzODQ2ODg1Ml5BMl5BanBnXkFtZTcwMDEzMDgyMQ@@__V1__SY317_"Anklaget" de Jacob Thuesen,
avec Sofie Gråbøl et Troels Lyby

Nina et Henrik Christofferson offriraient toutes les apparences d'un couple tranquille et heureux, si leur fille adolescente - Stine, quatorze ans - n'était pas si difficile. Aussi, lorsque Stine accuse son père d'avoir abusé d'elle, leur petit monde tranquille vole en éclats.

En laissant longtemps planer le doute sur la culpabilité ou l'innocence d'Henrik - et je me garderai bien ici de dévoiler le dénouement -, Jacob Thuesen nous livre un film qui se prête de multiples lectures. Peinture de la dévastation qu'une telle accusation peut causer dans la vie d'un homme - peut-être - innocent, peinture aussi des difficultés que rencontrent le système judiciaire et les services de protection de l'enfance pour arriver à établir la vérité dans une affaire de ce genre, "Anklaget" (c'est-à-dire accusé) est tout cela à la fois. Et c'est surtout un film qui tient en haleine, de bout en bout, grâce à la sobriété et à la justesse de sa conception, et grâce à la prestation sans faille de ses deux principaux interprètes, Sofie Gråbøl et Troels Lyby, tout simplement parfaits dans les rôles de Nina et Henrik. C'est dire que, par son traitement irréprochable d'un thème difficile, ce film danois programmé mardi soir sur La Trois/RTBF valait largement la découverte.

2 juin 2011

Une cathédrale moderniste - Carnet marocain (2)

carnet_marocainNotre-Dame-de-Lourdes, Casablanca

Ultime empreinte laissée dans la ville de Casablanca par l'administration française - sa construction fut en effet entamée en 1953 et terminée en 1956 peu après que le Maroc ait recouvré son indépendance -, l'église Notre-Dame-de-Lourdes est aujourd'hui - depuis que l'ancienne cathédrale du Sacré-Coeur est fermée au culte - le principal sanctuaire catholique de la ville. Accueillant les fidèles dans une courette ornée d'une reproduction de la célèbre grotte où la Vierge était apparue à Bernadette Soubirou, elle y déploie une silhouette de béton massive, austère et, pour tout dire, quelque peu écrasante.

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Notre-Dame-de-Lourdes, Casablanca (Cliché Fée Carabine)

L'intérieur, en revanche, est illuminé - dans tous les sens du mot - par les magnifiques vitraux conçus par le maître verrier Gabriel Loire, qui s'était pour l'occasion inspiré des traditionnels zelliges marocains. Sompteux, ces vitraux justifient à eux seuls la visite.

Casablanca07

Vitrail de Gabriel Loire, Notre-Dame-de-Lourdes, Casablanca (Cliché Fée Carabine)

Le carnet marocain

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